Philippe Busquin
Hommage à Hubert Curien Académie des sciences/le 14 mars 2005
Monsieur le Président, Madame Curien, Mesdames Messieurs les Ministres, Mesdames Messieurs les membres de l'Académie, Mesdames Messieurs, je vous remercie de m'avoir invité dans cette cérémonie chargée d'émotions pour évoquer Hubert Curien et pour parler plus particulièrement de son action à l'échelle européenne.
Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la commission européenne, Paolo Fasella disait qu'Hubert Curien a joué un rôle clé dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ses dernières années.
Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie."
Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ?
Hubert Curien a été de tous les rendez-vous.
Pour ma part, je voudrais quand même évoquer ma première rencontre avec lui, tout au début de mon mandat de commissaire européen en septembre 99 où le rencontrant, grâce à des amis communs, il avait été d'une très grande gentillesse et d'une simplicité que vous connaissez tous.
J'étais impressionné de rencontrer Hubert Curien puisque j'en connaissais son parcours comme Ministre de la Science, comme grand scientifique, et bien il m'a mis tout de suite très à l'aise, vous avez certainement tous eu ce même sentiment, parce qu'il avait une grande capacité d'écoute de l'autre. Nous avons discuté de cette idée d'espace européen de la recherche, comme j'avais eu l'occasion de le faire avec d'autres, mais lui-même m'encourageait d'essayer de créer un concept plus globalisant qui permettrait de transcender un peu toutes les initiatives déjà prises. Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80.
En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine.
Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens.
Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche.
Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eurêka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation.
Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne.
A côté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne.
Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. A cet égard des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe.
Donc son œuvre a été très, très importante, Madame Haigneré, mieux que moi, a pu évoquer la dimension de la politique spatiale. Il est clair que si l'Europe a une politique spatiale, c'est parce que dans les années 70, l'Europe a pu dépasser les difficultés de l'époque en créant l'Agence Spatiale Européenne à partir bien entendu du CNES et d'autres institutions. Mais cette Agence Spatiale Européenne est aujourd'hui l'instrument fondamental d'une politique européenne qui est d'ailleurs maintenant, le nouveau traité le permettra, une politique de l'Europe. Et c'est un point important parce que cela permet de conjuguer une dimension scientifique et technique à une dimension politique de la place de l'Europe dans le monde. Le programme "Galileo" en est un exemple très clair.*
Et donc, tout cela, confirme que Monsieur Curien a été à la base de la recherche européenne. On le retrouve à tous les rendez-vous, et je pense qu'aujourd'hui, si nous pouvons bénéficier de cette dynamique, qui est pour moi indispensable, il y a nécessité de plus en plus grande de mettre l'accent sur la recherche et l'innovation, je ne vais pas répéter mon thème favori des 3% du Produit Intérieur Brut pour la Recherche et l'Innovation, mais aussi la dimension européenne est indispensable.
Monsieur Curien a toujours été un artisan de cette dimension européenne, comme élément de masse critique et de capacité de l'Europe de se situer dans le monde de demain. Et dans cette capacité de l'Europe de se situer dans le monde de demain, nous ne devons pas oublier la recherche fondamentale et à cet égard, le Conseil Européen de la Recherche qui va, j'espère, naître avec le 7ème programme-cadre, était aussi une idée que Monsieur Curien avait développée.
Donc je voudrais terminer, en évoquant un dernier moment, c'est à dire un moment pour moi de l'image de Monsieur Curien que je garderai. C'est un moment d'émotion, parce que je me souviens, et Madame Curien, ses enfants et petits-enfants étaient là, dans l'Abbaye d'Engelberg, au forum de la Science d'Engelberg, que Monsieur Curien avait d'ailleurs animé, avec la volonté de rencontrer des jeunes chercheurs, venant entre autres des nouveaux pays membres de l'Union Européenne. Et bien dans cette Abbaye d'Engelberg, il avait tenu un discours pour terminer la réunion, empreint d'humanisme, de simplicité. Un discours de foi dans l'avenir, de foi dans la recherche, et c'est ce discours, c'est cette simplicité que je voudrais, comme vous tous, garder en mémoire de ce grand bâtisseur de la politique de recherche en France mais aussi en Europe. Merci.