Jean-Claude Lehmann
Hommage à Hubert Curien Académie des technologies/le 14 mars 2005
Madame Curien, Mon cher Nicolas, Mesdames et Messieurs les membres de la famille d'Hubert Curien,
Monsieur le Chancelier, Madame et Messieurs les Premiers Ministres, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs
Je suis particulièrement ému que me soit donnée la possibilité d'évoquer en quelques mots Hubert Curien. Je le fais en mon nom personnel car nos chemins se sont croisés bien souvent. Comme beaucoup d'autres ici, je lui dois beaucoup, et à de nombreux égards. Mais je le fais également au nom de l'Académie des Technologies et de son Président actuel, François Guinot, Académie dont Hubert Curien fût l'un des fondateurs et l'un des membres les plus assidus et les plus écoutés.
79 800. C'est le nombre de réponses que l'on obtient lorsqu'on propose le nom d'Hubert Curien à un moteur de recherche sur l'Internet. Sa disparition fût évoquée sur de très nombreux sites, depuis celui du "New York Times" jusqu'à celui du "Petit Tarbais". C'est dire assez combien il fut apprécié dans le monde entier.
Son premier titre de gloire fût d'être reçu premier du canton au certificat d'études, en 1936. À cette occasion, il prouva déjà son remarquable sens de l'observation, mais aussi le caractère malicieux que nous lui avons toujours connu, en rédigeant l'épreuve de français sur le sujet "La noce au village". Lui-même expliquait qu'il décrivit exactement ce qu'il avait observé, y compris les gens au bistrot, qui riaient franchement de voir une couronne de fleurs blanches sur la tête de certaines mariées. Cela ne lui valut pas la meilleure note de français, mais celle l'épreuve de science lui valût la première place, et la municipalité de Cornimont lui fit cadeau de son premier "Petit Larousse Illustré". 65 ans plus tard il entrait lui-même au Petit Larousse, honneur exceptionnel pour un scientifique, de son vivant.
Sur ma première photo, vous voyez les lauréats du certificat d'études de Cornimont en 1936. Le « garnement » Hubert Curien est à l'extrême gauche du groupe des lauréats.
Proche de la terre, Vosgien, comme il aimait lui-même à le rappeler, il n'est pas surprenant qu'Hubert Curien se soit passionné pour ce que la terre peut produire de plus beaux : les
cristaux naturels ; et pour ce qui fait depuis toujours rêver les terriens que nous sommes, la conquête de l'espace.
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Cristallographe, il reçut le plus bel hommage de ses collègues : un cristal nouveau découvert au Gabon en 1968 fût baptisé en son honneur : la curiénite.
Ma seconde photo montre un échantillon de curiénite avec sa belle couleur jaune.
Permettez-moi d'évoquer maintenant quelques activités d'Hubert Curien à l'occasion desquelles j'ai pu apprécier personnellement ses qualités exceptionnelles.
La première d'entre elles, évoquée avant moi par Robert Chabbal, fût celle de Directeur Scientifique du CNRS.
C'est dans cette fonction que, jeune chercheur, je l'ai rencontré pour la première fois, et ce n'est pas un hasard. En effet, Hubert Curien avait compris combien il était important, pour mener une politique scientifique réellement efficace, d'être en permanence au contact direct, personnel, des chercheurs et des laboratoires. Ayant moi-même assumé cette responsabilité quelques années plus tard, succédant à Jacques Winter et Robert Chabbal, j'ai pu mesurer à quel point la nature même du poste avait été façonnée par le modèle mis en place pour son premier titulaire.
Très proche des scientifiques, Hubert Curien fût toujours ouvert au monde de la technologie et des entreprises. La façon dont la science pouvait apporter plus de confort, de richesses, mais aussi de rêves, faisait partie de ses préoccupations, et lorsqu'il fût Ministre en charge de la recherche, il ne manqua jamais d'inviter un petit groupe de directeurs de recherche d'entreprises françaises, dont je faisais partie, à des déjeuners à la fois conviviaux et particulièrement instructifs pour tous les participants.
Plus tard, nous nous sommes retrouvés, convoqués par le Président de l'université Pierre et Marie Curie, à laquelle nous étions l'un et l'autre très attachés, afin de lui proposer une activité pour une structure existante, mais à ce moment-là vide de contenu opérationnel : il s'agissait de la Maison européenne des Technologies.
Conscient que les relations entre le monde de la science et celui des entreprises passaient avant tout par une connaissance mutuelle et personnelle entre leurs acteurs, nous avons décidé de faire de cette Maison européenne des Technologies un lieu où les responsables de la recherche des entreprises viendraient exposer leurs activités, mais aussi leurs enjeux et leurs difficultés, aux chercheurs et aux professeurs de l'université.
Durant plusieurs années, Hubert Curien vint animer lui-même la plupart de ces débats. Il s'intéressait à tout et avait toujours une remarque pertinente à présenter. Malheureusement et à notre grand regret à tous les deux, l'assistance, nombreuse et fidèle à ces réunions, fût essentiellement celle d'autres industriels. Les universitaires nous firent le plus souvent faux bond !
Mais il en fallait plus pour ébranler la conviction d'Hubert Curien que Sciences et Technologies devaient se nourrir mutuellement.
Lorsqu'en 1982, l'Académie des sciences, sous l'autorité de André Blanc-Lapierre, désigna un groupe de huit de ses membres afin de recruter huit personnalités extérieures et de former ainsi le noyau des 16 premiers membres du CAD AS, Hubert Curien fut naturellement sollicité ; comme membre extérieur, puisqu'il ne fut élu à l'Académie des sciences qu'en 1993. Assez naturellement, il fut élu Président de ce nouveau "Conseil pour les Applications de l'Académie des Sciences", dont la séance inaugurale, le 10 janvier 1983 préfigurait la future Académie des Technologies. Élu pour 2 ans et demi, renouvelable une fois, il devait cependant quitter cette fonction en septembre 1984 lorsqu'il fût nommé Ministre de la Recherche, de la Technologie et de l'Espace.
Il lui revient cependant d'avoir mis en place le travail de ce Conseil, à savoir :
- démarrer le processus de recrutement de nouveaux membres
- préciser ses missions et ses compétences
- fixer ses règles de fonctionnement
- établir son premier programme de travail
Cette impulsion initiale devait avoir un caractère déterminant, et conduire naturellement,... mais quand même 18 ans plus tard, à ce que, avec le soutien actif de l'Académie des sciences, la France se dote enfin d'une Académie des Technologies.
L'aide d'Hubert Curien fût à nouveau déterminante dans cette nouvelle phase. Tout d'abord parce qu'entre 2001 à 2003 il prit la présidence de l'Académie des sciences, et à ce titre fut pour le bureau de notre jeune Académie des Technologies un "grand frère" particulièrement attentif au démarrage dans la vie, de sa sœur cadette. Mais il fût aussi, en tant que membre de l'Académie des Technologies, l'un de ceux qui furent à la fois les plus consultés, les plus écoutés et les plus assidus.
Dans cette assemblée, comme dans beaucoup d'autres, sa seule présence, ses interventions mesurées, mais témoignant d'une profonde connaissance des questions importantes, furent un facteur d'équilibre, mais aussi d'ambitions pour notre Académie.
Homme du Nord, Hubert Curien ne se désintéressait pas pour autant du Sud puisque notre dernière rencontre se fit quelques jours avant sa disparition, autour du docteur Jean-Michel Couve, député-maire de Saint-Tropez, afin de préparer une importante manifestation sur la culture méditerranéenne.
J'aimerais enfin rappeler que le 1er février dernier, après avoir largement contribué à l'émergence, longtemps attendue, d'une fédération française des sociétés savantes dans le domaine de la chimie, il avait accepté d'en devenir le Président d'Honneur.
Pour terminer permettez-moi de vous présenter deux photos d'Hubert Curien qui me sont particulièrement chères.
Celle-ci tout d'abord qui le montre, détendu, pédalant au milieu des tournesols.
Son seul point commun avec le Professeur du même nom étant leur même passion pour la
conquête de l'espace !
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Et celle-ci où il se trouve auprès de son vieil ami, qui fut mon maître, Jean Brossel, disparu il y a deux ans. Jean Brossel, souffrant et déprimé à cette époque, me dit en sortant de cette réunion, combien le seul fait de se retrouver auprès d'Hubert Curien avait été pour lui un élément de bonheur et de réconfort.
C'était là aussi un peu le "miracle Curien."
Alors Hubert Curien, du fond du cœur, pour tout ce que tu nous as apporté, à chacun et chacune d'entre nous, mais aussi à la science, au pays, à l'Europe et au Monde, du fond du cœur, merci.
