20 Janvier 2020

Nicolas, Christophe et Pierre-Louis Curien

Par délégation familiale, la voix du fils puîné vous proclame ici l’immense fierté ressentie et partagée par une épouse, deux autres fils, six petits-enfants et huit arrière-petits-enfants.

Quelle chance, pour nous, d’avoir gravité dans l’univers intime de ce grand serviteur de l’État, si magnifiquement consacré en capitale, ce 3 décembre 2019 !

L’honneur est d’autant plus flamboyant qu’il est rendu au cœur d’un quartier emblématique, indissociable du brillant parcours de l’impétrant : les études supérieures, au lycée Saint-Louis puis à l’École normale supérieure ; la carrière universitaire, à la Sorbonne et à Jussieu ; les fonctions ministérielles, dans les anciens locaux de l’École Polytechnique ; et la résidence principale, à deux pas d’ici, place de l’Estrapade.

La proximité immédiate de l’E.N.S. est tout particulièrement heureuse. Cette prestigieuse institution, hautement prisée par notre clan, fut en effet non seulement le creuset du savoir d’Hubert Curien, mais encore le point de sa rencontre avec sa condisciple Anne-Perrine Dumézil, qui unira bientôt son destin au sien, devenant dès lors l’épouse, ô combien fidèle et attentionnée, qui l’accompagnera et le soutiendra pendant plus d’un demi-siècle.

Physicienne, elle-aussi, elle est la fille du très reconnu Georges Dumézil, historien des religions et – est-il bien nécessaire de le rappeler ? –, normalien.

Mère, grand-mère et arrière-grand-mère des trois générations de Curien aujourd’hui représentées, elle est désolée de ne pouvoir être des nôtres, sa mobilité réduite ne le lui permettant pas. Néanmoins en bonne forme compte tenu de son grand âge, elle s’est fortement impliquée dans les préparatifs de l’événement et, en cet instant même, elle est en communion de pensée avec nous tous, qui saluons, bien haut sur rue, son regretté mari.

Autre absent malgré lui, mon frère mathématicien Pierre-Louis – tiens, encore un normalien ! –, en mission dans l’Empire du Milieu. Quant à mon aîné, Nicolas, il est bel et bien présent, prompt à défendre les couleurs polytechniciennes face à une écrasante domination normalienne.

Comment ne pas évoquer, également et surtout, la mémoire de nos grands-parents, Berthe et Robert Curien, dont la joie et la fierté seraient aujourd’hui sans égales. Tous deux fonctionnaires dans la petite ville de Cornimont dans les Vosges, dévoués sans relâche au service de l’État, elle comme directrice d’école, lui comme receveur municipal, ils ont élevé leurs deux fils dans l’amour de la patrie et le culte du travail. L’un, Gilles, deviendra ambassadeur de France ; les mérites de l’autre, Hubert, attacheront désormais son nom à cette place.

Cerise sur le gâteau, le nouvel arrivant en ces lieux ne fera pas que retrouver un terrain qui lui est déjà géographiquement familier : il se rapprochera également de deux illustres normaliens, voisins de rue, avec lesquels il ne manquera pas de converser. Avec le savant Alfred Kastler, il partagera l’amour de la découverte et des sciences. Avec le résistant Pierre Brossolette, reposant au Panthéon tout proche, il échangera sur la nécessité du devoir de sacrifice envers la nation en danger et parlera de son propre engagement dans le maquis de la Piquante Pierre en 1944. Sylvie Pierre Brossolette, petite-fille de Pierre Brossolette, consœur au CSA de mon frère Nicolas, nous fait le plaisir d’être présente à nos côtés.

Hubert Curien aurait-il pu imaginer que cet espace précis lui fut un jour dédié ?

En tout cas, il en connaissait bien la topographie, car l’emplacement borde un passage de l’itinéraire « sioux » qu’il empruntait rituellement, en chaque fin de semaine, pour se rendre depuis son domicile jusqu’à l’accès de l’autoroute, Porte de Gentilly, avant de rallier sa campagne du Loiret. Durant des décennies, en raison de l’étroitesse de la rue Rataud, sa voiture a régulièrement frôlé le trottoir de ce triangle d’or.

La présente inauguration, tout aussi amicale que protocolaire, me pousse enfin à révéler, avec la bénédiction de mes frères, un petit secret de famille. Chacun sait qu’il n’est de bonne science sans un grain de folie… et en voici la preuve. Attention, je vais maintenant rapporter des actes délictueux, pour lesquels il y a, du moins je l’espère, prescription.

Le jeune Hubert Curien, étudiant à Paris, collectionnait volontiers les plaques émaillées, portant des inscriptions telles que « Essuyez vos pieds avant d’entrer » ou « Gaz à tous les étages ». Plus grave, son dévolu se porta une fois sur une des plaques de la rue d’Ulm, qu’il n’hésita pas à déboulonner, sans doute pour mieux se préparer à intégrer Normale Sup’… Ce trophée, parmi bien d’autres curiosités, fut déposé au grenier de la natale demeure vosgienne du chapardeur, suscitant par la suite l’admiration et l’envie de trois petits fouineurs, visiteurs estivaux de l’endroit haut perché.

Et l’histoire ne s’arrête pas là car, dans les années 60, je décrochai moi aussi une des plaques de cette même rue d’Ulm et la ramenai triomphalement à la maison, dans le but inavoué de reconquérir l’estime et la considération de parents alors assez inquiets de ma dérive scolaire, tandis que mes deux frères, contrebalançant utilement ce manquement, maintenaient, eux, le cap de tous les succès conformes à l’atavisme studieux de la tribu.

Catastrophe ! Faussement oublieux de ses propres écarts de jeunesse, notre père, pourtant réputé si calme, explosa littéralement. Il voulut même m’obliger à revisser immédiatement l’objet là où je l’avais prélevé. Heureusement pour le « sauvageon », ma mère mit le holà à cette entreprise réparatrice, faisant valoir, en fine mathématicienne, que la probabilité de se faire prendre serait à nouveau entièrement encourue, si je retournais sur les lieux du crime avec en main l’objet et les outils du délit !

Osons espérer, pour l’avenir, que cet aveu en place publique n’inspirera aucun nouveau projet fétichiste, parmi les nombreux admirateurs du Professeur Hubert Curien ! Toute délinquance familiale est a priori écartée, puisque d’authentiques exemplaires de la plaque Hubert Curien nous sont très généreusement offerts par la Mairie !

Mille mercis au Paris d’aujourd’hui…  et mille pardons au Paris d’hier !

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