Pierre Darriulat
Je n’ai eu avec Hubert Curien que de brefs contacts mais j’ai toujours éprouvé à son égard respect et admiration, le tenant pour le meilleur ministre de la recherche de la seconde moitié du vingtième siècle. C’est surtout à l’occasion de mon service comme directeur de la Recherche au CERN, alors qu’il était lui-même président du Conseil du CERN, que je l’ai rencontré. Chacune de ces rencontres a été marquée par une profonde impression de sympathie qu’il nourrissait à mon égard ; la différence d’âge, un peu plus de treize ans, me mettait naturellement dans la position de l’élève apprenant de son maître.
Je rappellerai seulement deux de ces rencontres, dont le souvenir est resté vif dans ma mémoire.
La première était peu avant ma nomination comme directeur de la Recherche. J’étais à l’époque porte-parole d’une des deux expériences qui avaient mis en évidence l’existence des bosons faibles, UA2. Le CERN était alors sous pression de réduction budgétaire et l’association du personnel m’avait demandé de plaider notre cause auprès d’Hubert Curien à l’occasion d’une de ses visites au CERN. J’avais préparé un texte exposant les dangers de tuer la poule aux œufs d’or que je lui avais lu. Il l’avait reçu avec beaucoup de sympathie, disant qu’il aurait dit précisément la même chose et employé les mêmes mots s’il avait été à ma place. Par la suite il s’est effectivement comporté comme un des plus ardents défenseurs du CERN et de la recherche européenne.
La seconde était pendant mon mandat comme directeur de la Recherche, ou peut-être peu après. Hubert Curien était ministre de la Recherche et m’avait demandé d’accepter de présider un groupe de travail chargé d’évaluer l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU), ce que j’avais accepté. Les membres du comité étaient tous de prestigieux scientifiques, chaque branche des sciences de l’univers (sciences de la terre, astronomie/astrophysique, océanographie et sciences de l’atmosphère) étant représentée par l’un d’entre eux. J’étais bien sûr le moins compétent, ma seule neutralité me désignait comme président, et je m’employais à tenir mon rôle avec l’humilité qui s’imposait. Une difficulté que nous avons rencontrée était que nous n’étions pas censés faire rapport directement au ministre mais à un Comité National d’Evaluation de la Recherche (CNER). Notre interlocuteur dans ce soi-disant comité était un technocrate qui brillait par son incompétence, sa vanité et son arrogance, traitant avec mépris les membres de notre comité et la science en général et voulant nous donner des leçons sur la manière d’évaluer un organisme. Aussi, en même temps que je lui remettais notre rapport, j’avais tenu à le remettre directement en mains propres à Hubert Curien, lui disant que la première de nos recommandations, bien que non écrite, serait sans hésitation de supprimer le CNER. Je n’avais pas eu besoin de lui faire un dessin…
Pierre Darriulat
- Ancien directeur de la Recherche au CERN