28 Novembre 2016

Denis Plantamp

Hubert Curien et le budget de la recherche et du développement

Au premier abord, Hubert CURIEN apparaissait comme un homme massif, carré, on ne pouvait manquer de remarquer ses sourcils charbonneux, s'exprimant peu voire timide, bref un homme de la campagne, de ses Vosges natales.

La réalité était toute différente, au-delà de sa modestie et de sa simplicité soulignées par tous, c'était un homme de grande intelligence, subtil, à la parole mesurée mais juste, capable de rendre simples les choses les plus complexes et surtout connaissant parfaitement le monde de la recherche si attachant mais si difficile à faire évoluer.

C'est pourquoi il était souvent quelque peu dubitatif envers les réformes que ses collaborateurs pouvaient lui proposer car il ne mesurait que trop l'effet qu'elles ne manqueraient pas de provoquer dans la communauté scientifique.

Ceci ne l'empêchait pas d'avoir parfois la dent dure envers ses collègues. Ne disait-il pas : « vous vous rendez compte, untel pense faux », ce qui pour lui semblait être le summum de l'erreur.

Il adorait fréquenter les hommes de science, il était toujours prêt à répondre favorablement à une invitation ou une inauguration même si ensuite, avec un sourire, il disait : « j'ai l'impression de m'être fait avoir...»

Les règles de la politique étaient souvent dures à supporter pour lui. Il avait du mal à comprendre pourquoi, alors qu'il présentait un budget en expansion, il était critiqué par l'opposition. Lors d'une discussion particulièrement houleuse, il parut profondément affecté au point de ne pas partager le buffet préparé pour ses collaborateurs préférant rentrer à son domicile. Toutefois, à la reprise de la discussion, il ne manqua pas de river son clou à un contradicteur qui l'avait accusé de gérer son Ministère comme un percepteur, en lui faisant remarquer que, fils d'un agent des Finances, cela ne lui avait pas vraiment porté préjudice ...

Denis Plantamp

  • Conseiller chargé du budget et du personnel de 1988 à 1991

 

Deux anecdotes montreront sa grande intelligence et sa mansuétude.

Nous devions nous rencontrer juste avant d'aller à Bercy pour discuter le budget de la recherche et voilà que j'attendais déjà depuis un certain temps dans l'antichambre en voyant avec inquiétude diminuer le temps de préparation. Je m'en ouvris au Directeur de cabinet Paul Hermelin qui me dit de rentrer dans le bureau du Ministre, ce que je fis en me disant qu'il devait traiter un sujet de la plus haute importance pour différer cette préparation si importante pour les organismes et le Ministère.

Or, quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir que le Ministre était en compagnie de Clorinde Cianfarani (chef du Bureau du cabinet) et qu'il discutait tranquillement de l'attribution des Légions d'Honneur. Alors que j'essayais plusieurs fois d'attirer son attention sur l'importance de la réunion avec le redoutable ministre du budget Michel Charasse, je compris qu'il examinait la situation de ses camarades de promotion de Normale Sup de façon à ce que tous ceux qui le méritaient soient décorés.

Il parut fort satisfait de cet exercice, ajoutant qu'il y en avait bien un qui n'était pas décoré mais cet écrivain célèbre, membre de l'Académie Française, lui apparaissait trop réactionnaire pour qu'il le propose ...

Pour ma part, j'étais atterré car il fallait maintenant partir pour la réunion d'arbitrage et j'envisageais la perspective d'un désastre. Comment pouvait-on se consacrer à des tâches si futiles face à un tel enjeu ?

C'était bien mal connaître H. Curien et son extraordinaire faculté d'assimilation. Durant le trajet, il me fit préciser les points importants à évoquer, mesura les enjeux, nota quelques chiffres sur une petite fiche qu'il glissa dans sa poche et fit merveille face au Ministre du Budget.

Une autre année, le Cabinet du Premier Ministre avait bien insisté pour que personne ne communique sur les mesures contenues dans la loi de finances avant que celle-ci ne soit rendue publique. Or, le spécialiste en charge de la recherche des « Echos » me sollicite pour un petit déjeuner. Après bien des réticences, je finis par accepter et naturellement, au fil de la conversation, je lui communique plus d'informations que ce que j'aurais souhaité, lesquelles apparaîtront dans son article le lendemain.

Fureur de Matignon : le Directeur de Cabinet appelle le Ministre, le Conseiller budgétaire, malgré mes dénégations, me dit que, par mesure de rétorsion notre enveloppe va être diminuée et qu'il va diligenter une enquête pour identifier l'origine de la fuite.

Convoqué par le Ministre, j'explique que la fuite doit provenir du Ministère de l'Economie et des Finances car j'avais remarqué dans l'article la présence d'informations que je n'avais pas fournies.

Devant mon air quand même embarrassé, le Ministre parut dubitatif sur la véracité de mon explication et évoque, les jours suivants, plusieurs fois cette affaire en insistant sur son caractère étrange et me faisant repréciser que la fuite ne venait pas du Ministère.

J'ai toujours pensé qu'il n'était pas dupe mais qu'il avait décidé de jouer le jeu.

Le plus cocasse est que, plusieurs semaines après, alors que l'affaire s'était terminée sans conséquence négative pour le Ministère, le Conseiller budgétaire de Matignon m'appela pour me présenter ses excuses en me disant que j'avais eu raison et que c'était le Ministère de l'Economie et des Finances qui avait fourni les informations contenues dans l'article incriminé.

Je ne crus cependant pas nécessaire d'aller porter cette bonne nouvelle au Ministre ...

Hubert Curien ou l'honnête homme, ou l'homme de science au service de la société y compris en quelque sorte au Gouvernement. Quelle chance d'avoir pu travailler aux côtés d'un homme de cette envergure et de cette simplicité, en un mot d'un maître.