29 Novembre 2016

Robert Aymar

Discours de Robert Aymar

Hommage à Hubert Curien Académie des sciences/le 14 mars 2005

Madame,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Chers confrères,
Mesdames, Messieurs,

Les orateurs qui m'ont précédé l'ont souligné : l'engagement d'Hubert Curien à la tête d'instances politiques et scientifiques, nationales et européennes, a été sous-tendue par la vision qu'il avait d'une Europe scientifique unie et forte. Une vision qui n'était pas simplement une belle et grande idée, mais le moteur de son action et de ses réalisations.

Je représente aujourd'hui le CERN, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, qui fut la première institution scientifique à l'échelle européenne, rassemblant douze États dès 1954, lors de sa création.

La vision d'Hubert Curien pour l'Europe de la science correspond à celle que les fondateurs du CERN eurent au lendemain de la seconde guerre mondiale, surmontant les rancœurs pour unir les efforts scientifiques et relancer la recherche fondamentale sur le Vieux Continent.

J'ai l'intime conviction que s'il avait été de cette génération de décideurs scientifiques de l'après-guerre, tels les Pierre Auger, Francis Perrin, Raoul Dautry ou l'Ambassadeur François De Rosé, Hubert Curien aurait été l'un de ces visionnaires participant à la création de ce Laboratoire. Il était donc tout à fait logique qu'il en devienne le Président du Conseil et c'est un honneur pour le CERN d'avoir eu un tel homme à la tête de son Conseil.

Avant même qu'il n'accède à ce poste, il avait affiché un intérêt soutenu pour notre organisation qu'il considérait comme la référence pour les organisations scientifiques européennes.

Il rendit plusieurs visites au CERN en tant que Ministre de la Recherche de la France.

Hubert Curien a été élu à la Présidence du Conseil du CERN en 1994, une année historique pour notre organisation, celle de la décision unanime des États Membres de construire le LHC. Le LHC est le projet le plus ambitieux que le CERN ait jamais mené : construire l'accélérateur le plus puissant au monde, pour repousser encore les limites de la connaissance de la matière et de l'évolution de l'Univers.

Décider d'un tel projet était loin d'être aisé, quand le financement de la science fondamentale n'était plus aussi favorable qu'auparavant. Dès lors, parvenir à un consensus entre vingt États européens s'avérait une entreprise extrêmement délicate.

Il a fallu tout le talent d'Hubert Curien pour convaincre les États Membres du CERN de s'engager dans cette entreprise ambitieuse. Les procès-verbaux des réunions du Conseil témoignent de son habileté à trouver des compromis dans les situations apparemment inextricables, guidant les discussions avec autant de sagesse que d'humour.

C'est ainsi qu'à la fin de sa première année de présidence, en décembre 1994, le Conseil du CERN parvenait à un consensus pour construire le LHC en deux étapes, avec les ressources provenant des États Membres.

Le projet ne pouvait être accéléré que si des États hors d'Europe y étaient associés. La direction, le Conseil du CERN et son président ont alors activement recherché les contributions de ces États, avec en tête les États-Unis qui venaient d'abandonner leur projet de Super collisionneur supraconducteur, mais également le Japon, le Canada, l'Inde et la Russie.

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Photo montrant en 1995 le Président Hubert Curien avec le Ministre de l'Éducation, des Sciences et de la Culture japonais, Kaoru Yosano, et le Directeur général du CERN, Christopher Llewellyn Smith, lors de la cérémonie marquant les débuts de la collaboration entre le CERN et le Japon. Le Ministre japonais offre au Directeur gênerai une poupée Damma. Selon la tradition japonaise, un œil est peint sur cette poupée en bois pour marquer le début de la réalisation du projet LHC, le second doit être dessiné lors de son achèvement. Crédits : CERN

En janvier 1996, une délégation du CERN, dont le Directeur Général de l'époque Chris Llewellyn Smith et le Président du Conseil Hubert Curien, se rendait à Washington pour des négociations sur la contribution des États-Unis au projet LHC. Six mois plus tard, les États-Unis annonçaient leur participation avec un financement de 530 millions de dollars. En décembre 1996, au terme des trois années du mandat d'Hubert Curien, un accord était trouvé entre les États membres du CERN pour construire le LHC en une seule étape, grâce aux contributions additionnelles d'États non-membres.

Ainsi, dans la vision d'une Europe élargie, Hubert Curien fut l'un des artisans de l'ouverture du CERN sur le monde entier. Les décisions prises lors de son mandat furent capitales pour l'avenir à long terme du CERN et de la physique des particules au niveau mondial.

Nous sommes particulièrement reconnaissants à Hubert Curien d'avoir contribué à transformer le CERN en une organisation profondément ancrée en Europe, mais ouverte sur le monde, avec la collaboration des chercheurs de 85 nationalités différentes.

En quittant le CERN à la fin de son mandat, Hubert Curien ne s'en est pas désintéressé, bien au contraire. A plusieurs reprises il est venu suivre les progrès du projet LHC.

Il était encore présent lors de la cérémonie des cinquante ans du CERN en octobre dernier comme le montre la photo 6

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Photo sur laquelle Hubert Curien est encadré par deux des Prix Nobel du CERN, Georges Charpak. Prix Nobel 1992 et Carlo Rubbia, Prix Nobel 1984. Crédits : CERN.

Hubert Curien a fait au CERN l'honneur de préfacer l'ouvrage commémoratif de cet anniversaire. A ce propos, j'aimerais le citer. Évoquant dans cette préface les qualités des dirigeants qui se sont succédé à la tête du CERN, il écrivait :

La gestion d'un grand établissement de recherche n'est pas toujours chose aisée : il faut dialoguer, convaincre, organiser, choisir, et évidemment réussir.

Hubert Curien savait faire tout cela, et c'est pourquoi il fut un excellent Président du Conseil du CERN dans l'une des périodes les plus délicates de son histoire.

Je voudrais conclure sur une touche plus personnelle. Comme tous ceux qui l'ont côtoyé, nous avons non seulement apprécié Hubert Curien pour ses qualités de dirigeant et de négociateur, mais également pour ses remarquables qualités humaines. Il affichait une constante bonne humeur et ne se départait jamais de cette courtoisie souriante qui rendait sa compagnie si agréable. Sa haute stature et sa renommée internationale n'avaient pas entamé une modestie désarmante.


En 2004, dans le cadre du Forum Engelberg nous avons fêté son 50ème anniversaire avec une cérémonie dans la chapelle du Cloître Engelberg.

La communauté de la physique des particules et le personnel du CERN doivent beaucoup à Hubert Curien. Et nous sommes infiniment tristes qu'il ne puisse assister à l'achèvement du grand projet auquel il a si remarquablement contribué.