Dominique François
Un savant cristallographe
Hubert Curien était un savant cristallographe. En 1951, il soutint sa thèse : « Étude des ondes élastiques et diffusion thermique dans le réseau cubique centré : application au fer alpha ». Puis, il poursuivit sa recherche sur la théorie de la diffusion Compton des rayons X dans les cristaux, et sur les défauts dipolaires dans le fluorure de lithium. Il s'intéressa ensuite au diagramme de phase du gallium, dont il découvrit, en collaboration, trois phases métastables, beta, gamma, delta, dont il détermina les structures cristallines. Par la suite, Hubert Curien orienta ses recherches sur les macles et leur représentation théorique. Ministre, il n’a pas cessé de donner ses cours de cristallographie à l’Université Pierre et Marie Curie.
Il était un des mieux placés pour savoir que l’accès aux beautés de la matière à l’échelle nanométrique exigeait de grands instruments pour produire les rayonnements nécessaires à son étude.
C’est ainsi que le rayonnement de grande brillance émis par les synchrotrons permet d’obtenir des diagrammes de diffraction d’extrême précision. Persuadé de leur grandes potentialités, Hubert Curien eut une action déterminante pour décider la construction d’un instrument européen. Installé à Grenoble, l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), devait l’être à Strasbourg. Hubert Curien dut affronter la colère des députés alsaciens pour avoir assumé cette décision du gouvernement Fabius. Il sut répondre aux interpellations de ces courroucés en mettant en avant les mérites du site grenoblois sans minimiser ceux de Strasbourg.
Hubert Curien apporta son soutien au maintien, contesté par Claude Allègre, Ministre de la Recherche du gouvernement Jospin, de la construction du synchrotron Soleil au Laboratoire pour l’Utilisation des Rayonnements Électromagnétiques (LURE) à Saclay. Cet instrument fut inauguré le 2 juin 2006.
Ces synchrotrons n’ont cessé d’aboutir à des résultats remarquables en cristallographie. En voici quelques exemples.
Le rayonnement synchrotron permet la microscopie par rayons X d’une résolution mille fois supérieure à celle de la microscopie optique. En 2006 ont pu être ainsi mesurées les déformations d’un nanocristal 1 de plomb déposée sur un substrat de silice ; ces déformations sont provoquées par les forces de contact épitaxiales 2. Cette technique ouvre la voie d’une meilleure compréhension des propriétés des matériaux à l’échelle nanométrique lorsque les interactions avec les interfaces deviennent prépondérantes. (Le volume d’un grain de 100 microns est environ 10 000 fois plus grand que celui de sa couche superficielle, alors qu’il ne l’est que 10 fois pour un grain de 10 nanomètres.)
Un domaine en plein essor, grâce au rayonnement synchrotron, est celui de l’étude des structures biologiques. Un exemple remarquable est celui de la détermination par diffraction de rayons X de l’arrangement des millions d’atomes du ribosome. Il s’agit d’une cellule qui lit le message de l’ARN (acide ribonucléique) pour produire des protéines, comme l’hémoglobine, l’insuline, la kératine. Attaquer le ribosome d’une bactérie la détruit ; ainsi peut‐on imaginer de nouveaux antibiotiques. La connaissance de la structure du ribosome est essentielle pour en comprendre le fonctionnement. En dépit de son extrême complication, la diffraction des rayons X y donne accès. Encore faut-il produire du ribosome cristallisé, un exploit réalisé par Ada Yonath dans les années 1990. C’est finalement en 2000 qu’elle-même avec Venkatraman Ramakrishnan, ainsi que Thomas Steitz, déterminèrent la structure cristallographique du ribosome au niveau des atomes. Hubert Curien a sans doute connu ces remarquables résultats. Il aurait apprécié à sa juste valeur le prix Nobel qui a été décerné à ces chercheurs en 2009. Depuis, d’autres progrès ont été réalisés comme le suivi image par image de la formation des liaisons atomiques des amino-acides.
Hubert Curien aurait également salué le prix Nobel décerné à Dan Shechtman en 2011 pour la découverte en 1984 des quasi-cristaux, de structure non périodique mais produisant pourtant des figures de diffraction des rayons X.
Un diagramme de diffraction obtenu le 17 octobre 2012 aurait évidemment enthousiasmé Hubert Curien : celui du sol martien transmis par l’astromobile (rover) « Curiosity » équipé du diffractomètre « CheMin ». Au site Rocknest il a révélé la présence de feldspath, de pyroxènes et d’olivine, composition d’un sol similaire à celui d’un volcan basaltique. Depuis, cet instrument poursuit ses analyses, livrant de nouveaux résultats sur le Mont Sharp le 4 novembre 2014. Là, a été découvert de l’hématite, un oxyde de fer qui se forme en présence d’eau. Celle‐ci a donc existé sur Mars. Voilà des découvertes réunissant les passions qu’avait Hubert Curien pour la cristallographie et pour l’exploration de l’espace.
Dominique François
- Directeur du département de Mécanique à L'UTC de Compiègne
- Conseiller Technique chargé des relations avec le parlement et des affaires régionales
1 Le nanomètre vaut un millionième de millimètre.