28 Novembre 2016

Guy Ourisson

Merci de me permettre de parler au nom des plus anciens amis d'Hubert Curien, dont plusieurs sont dans la salle.

Académie des sciences/Hommage à Hubert Curien le 14 mars 2005

Hubert Curien était entré à l'École normale supérieure en 1945, moi-même en 1946, mais ayant pu prendre un peu d'avance, j'ai en fait passé une partie de ma scolarité avec sa promotion, donc avec lui. Hubert et moi, venant tous deux de l'Est, étions liés par la géographie : son Cornimont est situé du côté vosgien, tout près des cols qui mènent à la vallée de Thann où il venait me rejoindre en moto-bécane pendant nos vacances.

Hubert avait, dans nos promotions, une singularité. Il était le seul d'entre nous à avoir combattu dans le maquis, ce qui lui valait un grand prestige ; il était décoré de la Médaille Militaire.

Une surprise nous attendait : Hubert n'entreprit pas après l'agrégation de préparer une thèse en physique, par exemple avec Alfred Kastler ou Yves Rocard, mais en cristallographie avec Jean Wyart, et plus directement avec Jean Laval. Il s'était laissé attirer vers ce domaine peu à la mode mais fascinant. Pour préparer ces quelques mots, j'ai été amené à lire une très belle autobiographie de Jean Wyart, et ai compris comment son enthousiasme a pu attirer Hubert à étudier la structure cristalline d'une forme du gallium, un métal présent à hauteur de 1 % dans tous les charbons. Le gallium, liquide à température ordinaire, est maintenant utilisé dans les thermomètres médicaux.

L'expérience radio cristallographique d'Hubert a pu plus tard l'aider à développer en France le domaine moderne et très important de la radiocristallographie des protéines.

Personne en France ne peut se flatter d'avoir joué un rôle aussi varié et positif pour la science française.

Cela sera dit et répété tout à l'heure ; je pense que, même pour ceux qui ont travaillé avec lui, c'est l'immense variété des responsabilités qu'il a assumées qui est tout à fait surprenante. J'en cite certaines :

  • Directeur de la Physique, puis Directeur général du CNRS
  • Délégué général à la Recherche Scientifique et Technique
  • Ministre de la Recherche par deux fois, mais aussi
  • Membre du Conseil de l'Ecole polytechnique
  • Président du Conseil de l'Université technologique de Compiègne
  • Président de la Fondation de l'École normale supérieure
  • Président du Palais de la Découverte
  • Président de l'Institut de Biologie physique-chimique
  • Président du jury des chaires Biaise Pascal de la Région Ile-de-France
  • Président de l'École de Physique-Chimie-Électronique de Lyon
  • Président de l'Académie des sciences
  • mais aussi Président de la Fondation de France.

Et j'en passe, comme beaucoup d'entre vous l'ont évidemment remarqué puisque vous avez travaillé avec lui dans d'autres cadres encore.
Personne ne peut se flatter d'avoir joué un rôle aussi varié et positif pour la science française, mais personne non plus, et sans doute surtout, pour la science européenne.

Hubert Curien a joué un rôle déterminant dans la création de la Fondation européenne de la Science, dont il a été le premier Président ;
il a été l'un des initiateurs d'Academia Europœa, qu'il a présidée … comme il a présidé le Conseil du CERN à Genève.
Il a présidé celui du CNES et celui de l'Agence européenne de l'Espace, ce qui 'justifie l'appellation que lui ont donnée les journaux de
"père d'Ariane".

Il était Membre du Sénat de la Max Planck Gesellschaft Membre du Comité de Surveillance de Daimler-Benz Knight of the British Empire
Docteur Honoris causa de l'Institut Weizmann, de l'Université de Tel Aviv et de Trinity Collège à Dublin, et Membre du Comité des Gouverneurs de l'Institut Weizmann.

Hubert Curien a rempli l'équivalent de plusieurs vies, de plusieurs vies exceptionnelles. Il n'avait cependant pas fini de servir. Fin janvier, il y a quelques semaines, nous étions ensemble pour la troisième fois à Chypre, où il avait accepté de présider le Comité international préparant la création d'un Centre de recherche de très haut niveau, à vocation internationale et pan-européenne mais destiné à servir surtout toute la Méditerranée orientale et les pays voisins. Nous avions été longuement reçus par le Président de la République de Chypre, représenté ici par l'Ambassadeur à Paris de ce pays, son Excellence Hadjimikhail, et Hubert se réjouissait des progrès faits, avec l'aide de ses nombreux amis européens impliqués dans la préparation de ce projet ambitieux, dont certains sont aussi parmi nous.

Pour moi, pour beaucoup d'entre nous, Hubert Curien était surtout un ami très proche. J'ai eu le privilège de collaborer avec lui à de nombreuses reprises pendant ces soixante ans. En lui remettant la Présidence de l'Académie des sciences en janvier 2001, j'avais dit, et je répète aujourd'hui au risque de paraître prétentieux, que l'une de mes fiertés aura été de l'avoir eu, à cette Présidence, comme mon successeur.