November 28, 2016

Marie-Noëlle Favier et Dominique Ferriot

Pour une politique nationale de la culture scientifique

« Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire ».

Cette parole d’Hubert Curien aujourd’hui inscrite sur les murs de la salle qui lui est dédiée au Ministère de la recherche traduit bien l’inlassable curiosité et aussi la bienveillance d’un homme de science soucieux plus que d’autres sans doute de répondre aux interrogations de la société et aux bouleversements d’une époque. Cette époque Hubert Curien la vivra en chercheur-citoyen, enseignant toujours, ministre deux fois, père de l’Europe spatiale et infatigable conteur des sciences et des technologies.

Au CNRS puis à la DGRST il encourage de fortes initiatives en faveur de la « popularisation de la science » ainsi les opérations « Physique dans la rue » ou la création à Grenoble du premier centre de culture scientifique et technique. Ce goût pour la vulgarisation des sciences s’est affirmé dans de fortes expériences telle cette visite du nouveau Palais de la découverte en 1937 avec son père et son frère. « La science existait, on pouvait la toucher du doigt et l’expliquer ». Hubert Curien fera de la jeunesse une priorité pour l’action du Ministère de la recherche et de la technologie dont le Premier ministre Laurent Fabius lui confie la responsabilité en 1984. La mise en place d’opérations nationales Passeport pour la recherche ou 1000 classes/1000 chercheurs préfigure le lancement quelques années plus tard de La Science en Fête qui devient à partir de 1992 une manifestation annuelle.

Ouvrir les laboratoires, valoriser le rôle de médiation des chercheurs eux-mêmes c’est dans la lignée de Jean Perrin et avec une affection constante pour les expérimentations développées au Palais de la découverte et dans les laboratoires, les entreprises, les écoles avec les associations et les centres de culture en région qu’Hubert Curien développe une politique de culture scientifique, technique et industrielle à la fois ambitieuse et proche du quotidien des français, des européens. Les initiatives fleurissent telles l’Espace des sciences à Rennes, Océanopolis à Brest ou le musée de Préhistoire de Tautavel. Un volontarisme d’Etat soucieux d’un partenariat réel avec les innovateurs en région. Homme de communication, Hubert Curien ne manquait pas les rendez vous avec les journalistes scientifiques de la presse d’information qui appréciaient ses talents de vulgarisateur et son enthousiasme pour une science accueillante, proche des jeunes et de leurs attentes pour un monde plus solidaire.

Membre puis Président de l’Académie des sciences et membre fondateur de l’Académie des technologies, Hubert Curien était un chercheur et un démocrate préoccupé par la responsabilité sociale des scientifiques. En 1972 déjà, à l’occasion d’un colloque organisé à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, il affirme : « la science est devenue un fait social collectif qui rétroagit sur toute l’évolution de l’humanité. De ce fait, le regard mais aussi le rôle du scientifique a changé ; au-delà de sa propre spécialisation, il ne peut plus penser de façon sectorielle, mais doit se donner pour objectif d’appréhender toute la complexité des systèmes humains, culturels, environnementaux dans lesquels évolue la société. Sous cette condition, il pourra fournir aux décideurs politiques comme aux citoyens les éléments indispensables aux grands choix de société. La science, si elle est un puissant levier de croissance économique, doit également garantir la prééminence des universaux : la liberté de penser et la solidarité, qui sont les moteurs de la démocratie ».

En cette année 2015 si durablement marquée par une réponse nécessaire aux atteintes contre la démocratie et la liberté de pensée, Hubert Curien est plus que jamais parmi nos contemporains un exemple de courage et du mieux vivre ensemble. L’hommage qui lui est rendu aujourd’hui dix années après son décès montre bien l’attachement que lui portent les nouvelles générations de savants, de citoyens pour qui il reste un exemple et une incitation à l’action.

20 janvier 2015

Marie-Noëlle Favier

  •  Chef du département culture scientifique au Ministère de la Recherche de 1984 à 1998
  • Directrice de la communication à l'IRD (Institut de recherche pour le développement)

 

Dominique Ferriot

  • Conseillére pour les affaires régionales au cabinet d'Hubert Curien
  • Directrice de la Culture scientifique et technique au Ministère de la Recherche
  • Directrice du Musée des Arts et métiers
  • Actuellement professeur des universités