Geneviève Fioraso
Je remercie la famille d’Hubert Curien, en particulier son épouse Perrine et ses fils (Jean-Louis, que vous avez entendu tout à l’heure, et Christophe) d’être venus ce soir pour cette cérémonie.
Se réunir autour de la figure d’Hubert Curien est pour moi l’occasion de rendre hommage à un homme qui a dirigé ce ministère pendant 7 ans (de 1984 à 1986 puis 1988 à 1993) et ne l’a jamais vraiment quitté. Il y est resté à travers son nom, tout d’abord, un nom inscrit dans ces lieux (vous le voyez juste derrière moi), puisque cette belle salle, qui était l’ancienne salle des Conseils du temps où l’hôtel de Boncourt abritait l’école Polytechnique, a été renommée salle Hubert Curien en 2005.
Mais surtout, Hubert Curien est resté présent par son aura, par son esprit, l’esprit engagé et passionné du chercheur en cristallographie, l’esprit clairvoyant de celui qui a été tour à tour :
- directeur du département de physique du CNRS en 1966,
- directeur général du CNRS en 1969,
- délégué général à la recherche scientifique et technique en 1973,
- président du CNES en 1976,
- président de l’Agence spatiale européenne en 1979,
- ministre de la recherche, de la technologie et de l’espace de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993,
- président du conseil du CERN de 1994 à 1996 ;
- et président de l’Académie des Sciences de 2001 à 2003.
C’est là un parcours de haut vol pour un homme d’exception qui a durablement et je le dis avec gravité et sincérité : c’est un homme qui avait une vision européenne et mondiale de la science et qui a su donner à notre recherche une impulsion formidable pour en renforcer l’excellence, en réaffirmer la vocation sociétale et le rôle dans le développement culturel et économique de notre pays.
C’était un homme d’une grande bienveillance, dont la voix douce cachait cependant une profonde détermination, et tous ceux qui l’ont connu se souviennent de ses talents de conciliateur qui ont permis ces si grandes avancées.
Il est pour moi le ministre de la recherche de référence et un guide pour mon action, car je crois profondément qu’il a eu raison dans toutes les actions qu’il a entreprises.
Le père d’Ariane
Hubert Curien, vous le savez, est celui que l’on appelle souvent « le père d’Ariane », et il a eu raison, justement, de défendre avec autant d’enthousiasme et d’énergie une politique spatiale française et européenne ambitieuse.
les vols spatiaux habités (Jean-Loup Chrétien avec les Soviétiques en 1982 et Patrick Baudry avec les Américains en 1985).
C’est le travail d’Hubert Curien, aux commandes de la politique spatiale il y a 30 ans, qui a permis de donner l’impulsion nécessaire à ces projets que nous voyons se concrétiser aujourd’hui.
Une vision ouverte de la recherche
L’espace est sans doute le plus bel exemple de collaboration réussie entre la recherche et l’industrie. Hubert Curien était persuadé que l’aventure scientifique et technologique de la France passerait par l’ouverture de la recherche sur la société, dans l’ensemble de ses dimensions. Et là encore, il avait raison.
Le renforcement des liens entre les chercheurs, les entrepreneurs et l’ensemble des acteurs des territoires permet d’accélérer la production du savoir et de mieux en assurer le transfert vers la société. La recherche et l’innovation nécessitent un travail collaboratif. Tous ceux qui ont fait de la recherche savent combien l’image du chercheur isolé dans son laboratoire est une chimère. Et pourtant, il a fallu en faire tomber des cloisons !
Les cloisons entre la recherche et l’industrie, tout d’abord, parce que la recherche fondamentale trouve aussi son sens dans sa portée applicative et que l’avenir de l’industrie dépend de sa capacité d’innovation, particulièrement de l’innovation de rupture, le plus souvent issue de la recherche fondamentale.
C’est ce qu’Hubert Curien a fait avec le programme européen Eurêka par exemple, qu’il a défendu avec force en 1985 pour accroître la productivité et la compétitivité de l’industrie européenne grâce à la recherche partenariale, en visant surtout les PMI-PME et les ETI. Signe de son succès, ce programme existe toujours et c’est avec le même objectif de décloisonnement que je continue à oeuvrer au ministère, pour faciliter encore plus la transformation de l’invention du laboratoire en innovation approuvée par l’entreprise.
C’est le sens aujourd’hui de la Stratégie nationale de recherche, qui a été établie en concertation avec les chercheurs du Conseil stratégique de la recherche et des ateliers qui ont réfléchi pendant près de 1 an avec la société civile. Ensemble, ils ont identifié les enjeux de recherche prioritaires pour les 10 défis les plus pressants pour la France et pour l’Europe.
Culture scientifique
Dix ans après la création de la fête de la musique par Jack Lang, Hubert Curien a créé en 1992 « la Science en Fête », que l’on connaît tous aujourd’hui sous le nom de Fête de la science. Pour cette première édition, il avait décidé d’ouvrir les jardins du ministère au public, en symbole d’une science ouverte et accessible à tous. Et parce que la culture ne peut pas se limiter à un événement dans l’année, il avait également mis en place les centres de culture scientifique et technologique, lieux de rencontre entre les scientifiques et le public, lieux de partage et de découverte, pour donner à chacun les clés pour mieux comprendre et mieux agir.
Hubert Curien était animé par le goût du savoir, une passion qu’il a cherché tout au long de sa vie à transmettre, parce qu’il était convaincu que le savoir rend libre, émancipe aussi bien individuellement que collectivement. C’est par le savoir que nous pouvons former des individus citoyens et responsables, c’est par le savoir que nous pouvons développer une société responsable et durable, que nous pouvons créer des emplois qualifiés, aussi bien qu’exercer notre souveraineté.
Conclusion
Hubert Curien, je le cite, souhaiterait « revenir sur Terre un instant, dans 1000 ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. » Quand Hubert Curien reviendra visiter notre monde dans 990 ans, j’espère que nous aurons été à la hauteur des ambitions qu’il avait pour la recherche et pour la France.