November 30, 2016

Bernard Decomps

Madame la Ministre, chère Perrine et toute votre famille, chers amis d’Hubert Curien;

Nous sommes réunis ce soir pour exprimer notre reconnaissance à un très grand Monsieur qui a toujours su tirer le meilleur de nous-mêmes par sa gentillesse et son attention à chacun et, plus encore, par le don qu’il avait de mettre à notre portée une contribution à sa vision de la recherche, sa vision de la science, sa vision de l’Europe et sa vision de la démocratie.

Sa vision de la recherche : Chercheur tout au long de sa vie, Hubert Curien a parfaitement incarné le bonheur de l’instant de la découverte, puis le cheminement laborieux de son intégration dans un produit ou un service innovants. Dans les responsabilités éminentes qui lui ont été confiées, il s’est focalisé sur les conditions de la production de recherche et su mobiliser tous les ressorts en son pouvoir : qualité des chercheurs et des collectifs, soutien des plus productifs, densité des couplages entre institutions publiques ou privées, répartition optimale des moyens, … avec l’œil fixé sur la dépense nationale de recherche et développement, la fameuse DNRD. Sans se départir de la simplicité des relations qu’il savait garder avec ses interlocuteurs, il a marqué de son empreinte le laboratoire de minéralogie et de cristallographie auquel il est resté fidèle jusqu’au dernier jour, puis le CNRS, la DGRST, le CNES et l’ESA, avant d’assumer la conduite de l’ensemble de la recherche nationale au cours de ses deux mandats de Ministre de la Recherche et de la Technologie. Comme pour parachever une œuvre si intelligemment construite, voilà qu’on lui confie la Présidence du CA du CERN à un moment décisif de la vie de l’organisme.

Sa vision de la science : Si la science est exigeante pour le monde de la recherche, elle l’est aussi pour l’ensemble de la société qui doit en partager les ressorts et les coûts, pour éviter de courir le risque de bâtir sur du sable. "La science avec tous" devient ainsi un objectif majeur du Ministre qui s’engage alors dans la promotion d’une science festive, proche du plus grand nombre, dans ses ambitions comme dans sa production. Les manifestations annuelles de la "fête de la science"ou de la "science en fête" portent témoignage de cette volonté, ainsi que la création ou le soutien aux musées et maisons de la science. La science avec tous, c’est promouvoir une science qui répond aux préoccupations du plus grand nombre et qui s’élabore près du plus grand nombre. Rompant avec un soutien exclusif aux grandes concentrations de chercheurs, il amorce une politique d’aménagement du territoire finement préparée par les DRRT, et concrétisée par l’essaimage de laboratoires dans toutes les Régions. Avec le recul du temps, on sait que cet essaimage a porté des fruits dont la nouvelle carte de France devrait conforter les effets. Dans ce partage avec le plus grand nombre, Hubert Curien a donné de sa personne, poursuivant ses activités de professeur, avec un talent exceptionnel de "conteur de la science" ; à ses auditeurs, spécialistes ou amateurs, il donnait à voir le but visé et une intuition du mécanisme sollicité. Ce talent de conteur, ceux qui, comme moi, l’ont entendu tirer le meilleur des Grands Colloques de Prospective, ne manquent pas de le rapporter. Plusieurs d’entre nous pourraient témoigner de son talent d’anticipation lors des grandes décisions de l’aventure spatiale. En forçant l’imagination,  Je crois entendre son plaidoyer en faveur des investissements du CERN, arguant des prouesses des grands détecteurs qui parviendraient, à travers la mise en évidence expérimentale du boson de Higgs, à comprendre l’origine de la masse apparente des particules élémentaires.

Une vision de la construction de l’Europe avec et par la science : sans doute inspirée par l’esprit de la Résistance et l’impératif de tout faire pour réconcilier les nations, Hubert Curien aura été un artisan majeur d’une communauté européenne de la science. On le constate dans l’investissement du CNRS dans des laboratoires binationaux, puis dans les programmes spatiaux avec le CNES et l’ESA, au CERN dans la dernière de sa vie. Cette communauté européenne des scientifiques devient capable d’instiller une politique d’innovation en croisant les contributions d’institutions appartenant à plusieurs pays : c’est le programme Eureka. Hubert Curien savait tenir un échange en trois langues, le français, l’anglais et l’allemand, et transformer peu à peu les partenaires d’une négociation délicate en amis rapidement attachés au succès de l’Europe.

Sa vision d’une science par et pour la démocratie, à la portée du plus grand nombre : Hubert Curien est arrivé au Gouvernement au bon moment pour cela, avec l’impulsion conférée à la recherche par Jean-Pierre Chevênement et la continuité de la politique de ce dernier assumée par Laurent Fabius. Encore fallait-il inscrire cette vision de la science par et pour la démocratie dans la durée, ce qui restera probablement dans l’histoire comme la réussite majeure du Ministre. On ne compte plus ses initiatives en faveur d’un accès démocratique au savoir scientifique et à la reconnaissance de ce savoir, tant par le rôle qu’il a joué avec la création des aides aux jeunes chercheurs, le soutien accordé, en France comme à l’étranger, notamment dans le pourtour de la Méditerranée, à tous ceux qui ont œuvré en faveur de cet accès.

En résumé, Hubert Curien a permis à tous ses collaborateurs de devenir membres d’une grande famille, une famille attachée à la recherche, à la science, à l’Europe, à la démocratie.

Et, qu’en fut-il de la famille Curien ? Madame la Ministre, pour évoquer ce point, je préfère passer le micro à l’un de ses fils, Pierre - Louis.